Le présent document de position de Agroecology in Action (AiA) se veut être un outil au service de la consultation publique à venir sur le Plan stratégique wallon (ci-après : PSW) pour la mise en œuvre de la politique agricole commune (PAC).
La nécessité d’un tel exercice pour un mouvement comme AiA n’a d’égal que sa complexité. La PAC et les choix de la Wallonie quant à sa mise en œuvre ont des impacts sur tous les citoyens. Notre mouvement représente :
- des organisations paysannes et agricoles ;
- des associations de lutte contre la pauvreté pour lesquelles l’accès à l’alimentation saine et durable est un enjeu fondamental ;
- des initiatives citoyennes développant les circuits courts avec des travailleurs agricoles œuvrant sur des petites surface ;
- des associations environnementales
- ou encore des ONG de solidarité internationale pour lesquelles la PAC ne peut être ignorée tant elle a des effets sur la sécurité alimentaire des pays du Sud.
Agroecology in Action est un mouvement qui rassemble une diversité d’organisations reposant sur des bases sociales et environnementales variées et dont les objectifs prioritaires sont différents. AiA est donc un mouvement où plusieurs sphères de la société sortent de leurs bulles pour débattre et où experts et personnes de terrain prennent le temps de confronter réalité politique et réalité de terrain. Cette diversité est un défi et il en résulte que le document de position qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustif. Mais la force de notre mouvement et du document qui suit est de mettre en lumière les points d’accords et de convergences qui existent entre nos membres. Ce document de position n’est donc pas un simple résumé des positions des acteurs de AiA mais bien une position spécifique d’AiA qui est le résultat de compromis réalisés par les membres.
Plus de transparence et élargir le cercle de la concertation
Tous nos membres sont concernés par la mise en œuvre de la PAC sur le territoire wallon. Nous déplorons que l’élaboration du PSW se fasse en vase clos. Seule une poignée d’acteurs sont invités aux négociations avec les responsables politiques à la manœuvre. Il est tout à fait légitime que les syndicats agricoles majoritaires soient consultés ainsi que certains acteurs environnementaux à certains moments, mais d’autres acteurs ont aussi leur place dans les discussions, surtout aujourd’hui alors que les systèmes alimentaires se diversifient autant qu’ils se complexifient. L’élargissement du débat public aux acteurs concernés par l’agriculture et l’alimentation et détenteur d’une expertise reste une nécessité démocratique.
Parallèlement aux limites des consultations en amont de l’élaboration du PSW, se pose également la question de la transparence. Alors que plusieurs pays ont déjà rendu leur plan stratégique national (PSN) à la Commission européenne, le ministère de l’agriculture wallon n’a pas encore communiqué sa copie, ni même une version intermédiaire.
Des parlementaires wallons se sont déjà inquiétés de cette situation. Il était en effet prévu originellement que les PSN soient rendus à la Commission européenne avant la fin de l’année 2021 après avoir fait l’objet d’une consultation publique au niveau national. Il apparaît de plus en plus improbable que la Wallonie réussisse à tenir ces deadlines. Une consultation publique organisée en dernière minute avec des délais serrés ne permettrait pas d’espérer que les groupes d’intérêt n’ayant pas été consultés en amont puissent se faire entendre adéquatement.
Nous demandons un Plan Stratégique Wallon ambitieux
La réforme européenne de la PAC a permis quelques avancées dans la bonne direction. Nous pensons à la révision de l’organisation commune des marchés ou à l’introduction d’une clause de conditionnalité sociale.
Mais, sur les enjeux de justice sociale et d’environnement, la réforme telle qu’elle a été actée n’est pas à la hauteur des enjeux : elle ne permettra pas de changer la donne au niveau de l’emploi et des revenus dans le monde agricole, ni de contribuer suffisamment aux objectifs du Green Deal européen.
Dès lors, les choix à faire au niveau national restent l’ultime levier pour faire de la période 2023-2027 une véritable PAC de transition, au moins sur le territoire wallon. La région wallonne a de nombreux atouts et peut servir de région modèle en matière de système alimentaire durable.
En vue d’assurer ce niveau d’ambition au futur PSW, AiA propose les recommandations suivantes :
- Le PSW doit se doter d’une vision à long terme fondée sur les principes de l’agroécologie. Pour AiA, l’agroécologie est le meilleur moyen de poursuivre la transition déjà entamée par de nombreux agriculteur.trice.s ainsi que par d’autres acteurs.trice.s wallons de la chaîne alimentaire. Nous invitons la Wallonie à se donner les moyens d’intégrer et de soutenir l’agroécologie et celle.eux qui la pratiquent au cœur de notre système agricole. Il s’agit de mettre d’ores et déjà en place les conditions d’une réelle transition agroécologique pour la prochaine PAC, afin d’en faire l’horizon qui permet de concilier nos objectifs de sécurité alimentaire avec la nécessité de recréer l’emploi dans le monde agricole tout en préservant la biodiversité et le climat.
- Le PSW doit être un outil au service de l’agriculture mais aussi de l’alimentation. La PAC a un impact sur nos assiettes autant que dans les fermes, c’est pourquoi nous préférons parler de politique agricole et alimentaire commune (PAAC). A défaut d’initiative européenne en ce sens, la Wallonie peut montrer l’exemple en prenant des décisions qui tiennent compte des besoins et revendications des consommateurs. La PAC ne peut être un outil étranger à la stratégie “Manger demain” de la région Wallonne. Les choix à faire au sein du PSW doivent tenir compte de l’aval des mesures qui sont choisies. Bien que la PAC ne détermine pas tout, les choix faits au sein de la PAC peuvent avoir une incidence positive sur l’évolution de nos régimes alimentaires.
- Le PSW doit faire référence explicitement au Green deal européen. Nous attendons du gouvernement wallon, une énumération d’objectifs chiffrés que la Wallonie se fixe pour atteindre les objectifs des stratégies Farm to Fork et stratégie Biodiversité (diminution de 50% des pesticides, 20% des engrais de synthèse, 25% agriculture bio, 10% d’éléments de paysage…). Au-delà du PSW, la région Wallonne devra détailler comment les dépenses de la PAC s’articulent aux autres portefeuilles des politiques agricoles et alimentaires en Wallonie pour concourir à l’atteinte de ces objectifs européens.
- En lien avec PSW, nous attendons de la Région wallonne des engagements chiffrés en matière de maintien du nombre de fermes, d’installation de jeunes, de soutien spécifique aux petits et moyens agriculteurs, de soutien aux pratiques agroécologiques en parallèle des objectifs du bio, de réduction des émissions de GES (Plan Air Climat Énergie 2030). Bien qu’il ne s’agisse pas d’une requête européenne, AiA revendique davantage de communication détaillant les liens entre les outils au sein du PSW et les objectifs susmentionnés.
En résumé, ces évolutions fortes en termes d’objectifs environnementaux et sociaux matérialisent la transition économique, écologique et sociale du secteur à laquelle la Wallonie s’est engagée dans la DPR. La PAC est l’un des principaux – sinon le principal – levier pour la réaliser.
UN PSW aux outils qui encouragent une transition juste de nos fermes
Loin de reprendre tous les outils au sein de la PAC, ci-dessous, nous épinglons les mesures importantes pour AiA en vue de trouver un juste équilibre entre les objectifs sociaux et environnementaux de la PAC.
Plafonnement, redistribution et soutien aux petits agriculteurs
Le plafonnement et la redistribution des aides sont les outils essentiels en vue de freiner la disparition des fermes et les inégalités de revenus entre agriculteurs. Les derniers chiffres fournis par la Région wallonne elle-même nous indiquent que cela fait trois décennies que le nombre d’exploitations a diminué dramatiquement et continuellement malgré une certaine stabilisation ces dernières années. Nous ne pouvons pas en dire autant au sujet du nombre de personnes occupées dans le secteur agricole qui continue de décroître drastiquement. Les chiffres sont connus, 80% des aides de la PAC bénéficient à 20% des plus grandes exploitations. La Wallonie n’est pas la région la plus inégalitaire de l’UE mais l’équité de la répartition des aides en Wallonie doit être améliorée fortement en vue de préserver les fermes et encourager des emplois aux revenus décents. Pour atteindre ces objectifs d’équités AiA propose :
- Plafonnement et redistribution : le cadre européen a finalement fixé un plafond des aides à 100.000€. Ce plafond est beaucoup trop haut, il importe donc de respecter cela a minima et de se doter d’une trajectoire pour plafonner les aides à max 60.000 € lors de la prochaine révision de la PAC. En attendant de baisser ce plafond, une dégressivité à partir de 60.000 € est le meilleur moyen d’assurer davantage d’équité dans la répartition des aides en Belgique. De même, les aides couplées aux bovins doivent être plafonnées à 100 bêtes éligibles afin de garantir une meilleure répartition de l’enveloppe entre les exploitations. Par ailleurs, les chiffres ci-dessus démontrent qu’il faut augmenter l’enveloppe redistributive. AiA plaide pour rehausser la redistribution à hauteur de 21% du premier pilier. Cette hausse se ferait via le transfert de moyens des paiements de base vers l’enveloppe redistribution.
- Petits agriculteurs et maraîchers : Parallèlement aux leviers de plafonnement, de redistribution et de soutien accrus aux premiers hectares, la Wallonie doit se doter d’outils qui soutiennent les plus petites fermes et les petits maraîchers. Parmi ceux-ci, la Wallonie a l’occasion de soutenir particulièrement les petits maraîchers sur petites surfaces via les aides BIO. En outre, il faudra à terme être capable de soutenir les petites fermes qui ne font pas que du maraîchage et/ou qui ne sont pas labellisées BIO (entre autres les fermes ayant fait le choix de certification citoyenne tel que le système de garanties participatives). Pour ce faire, la Belgique est un des rares pays européens à ne pas s’appuyer sur le régime des petits agriculteurs (en 2015, 15 pays avaient recours à cet outil). La Wallonie doit se donner une trajectoire en vue d’intégrer le régime petits agriculteurs (moins de 10 hectares) dans l’architecture belge. L’intégration de cet outil doit être accompagnée d’un cadre empêchant les dérives (captation par les propriétaires terriens et les retraités). Une évaluation de cet outil devra être faite à la fin de la prochaine PAC pour en évaluer les bénéfices et les limites. Enfin, le montant maximum de ce régime (actuellement 1250€) devra être revu à la hausse lors des prochaines négociations européennes.
Éco-régimes
- L’efficacité des mesures de verdissement a été fortement critiquée par un rapport de la Cour des Comptes de l’UE. Ces mesures se retrouvent aujourd’hui dans les conditionnalités et ce sont les éco-régimes (ER) qui sont censés incarner la rétribution des pratiques écologiques. En matière environnementale, il importe de tenir au principe de ne pas revenir en arrière sur des ambitions environnementales acquises. Dans l’architecture verte de la PAC 2014-2020, 30% du 1er pilier était consacré à cette ambition. La Wallonie doit aller plus loin que le minimum proposé par l’UE : 25% du 1er pilier dédié aux éco-régimes sur la période 2023-2027. Consacrer minimum 30% du premier pilier dès 2023 en laissant l’opportunité d’augmenter cette enveloppe durant la programmation si les mesures proposées rencontrent du succès auprès des agriculteur.rice.s.
- Eco-régimes : la Wallonie choisira des ER qui permettent une véritable transition juste et ne tombera pas dans le piège du smart farming (Agriculture de précision, méthanisation, etc…) ni du greenwashing (diversification en lieu de l’amélioration des rotations etc.). Parmi les éco-régimes pertinents pour la Wallonie, AiA soutient prioritairement les propositions partagées par certains de nos membres qui sont parties prenantes du cadre de concertation wallon sur la future PAC : maillage écologique, couverture des sols, maintien des prairies permanentes, et cultures favorables à l’environnement. Cependant, de nombreux choix sont encore à faire au sein de ces 4 éco-régimes et il faudra fixer des objectifs chiffrés qui permettent véritablement de faire la différence au niveau environnemental, en répondant aux enjeux environnementaux de la Wallonie pour le secteur agricole. Il faut éviter le statu quo et engager une transition des pratiques agricoles.
Agriculture biologique
Alors que le nombre de fermes en Wallonie baisse chaque année, le nombre de fermes en bio augmente. La Wallonie s’est dotée d’objectifs ambitieux via le PDR (30% de bio en 2030) mais elle doit se donner les moyens d’accélérer les installations et les conversions en bio, en stimulant la demande et en développant les débouchés bio. A l’heure actuelle, la Wallonie n’a toujours pas débloqué les moyens pour mettre en œuvre ce plan (statu quo sur la promotion, la recherche, etc.). Un récent rapport de l’IFOAM montre que la majorité des PSN européen ne sont pas assez ambitieux en matière d’agriculture biologique. Dans ce rapport, la Belgique est justement mal classée sur la question du budget.
Soutenir l’agriculture biologique devra passer par une augmentation d’ambition significative sur les outils d’installation, d’investissement, de production (conversion et maintien) et de commercialisation, et doit être soutenu en dehors de la PAC par un budget de promotion et de recherche en lien avec les enjeux. Enfin, nous encourageons la mise en place d’un nouveau soutien au petit maraîchage bio à travers un code culture spécifique.
Aides couplées “Protéagineux”
La Wallonie doit doter son plan d’une aide couplée en vue de soutenir la production de protéines végétales. En effet, l’UE ne parvient pas à poser les choix politiques nécessaires en vue de limiter les importations à bas prix de protéines végétales (réintroduction de l’accord Blair-house dans article 33 PAC). Or ce système d’importation ne bénéficie pas aux petits et moyens agriculteurs du Sud, détruit la biodiversité de ces régions et réchauffe le climat, la Wallonie doit avoir une stratégie et se doter d’outils en vue de développer l’autonomie de nos fermes en matière de protéines végétales. Non content de limiter les impacts négatifs dans les pays tiers, augmenter la production de protéines végétales localement augmente la résilience de nos systèmes agricoles et réduit les GES.
Mesures Agri-environnementales et climatiques (MAEC)
Le budget doit permettre au développement des MAEC de se poursuivre, dans le but de développer un maillage écologique suffisant, de qualité et bien réparti qui permette à terme d’enrayer le déclin de la biodiversité agricole, par ailleurs dramatique, en Wallonie (-60% des populations d’oiseaux agricoles en 30 ans). Par maillage nous entendons tous les éléments ponctuels, linéaires et surfaciques qui soutiennent de manière déterminante la biodiversité, comme les haies, arbres, bandes enherbées et fleuries, aménagement pour la faune et les pollinisateurs, zones refuges ou prairies très riches en biodiversité. Celui-ci est à la fois un levier critique de la transition agroécologique (par exemple via la lutte biologique contre les ravageurs), et en fournissant des abris et nourriture aux habitats et espèces qu’il faut protéger.